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20 mars 2023
On rencontre Yonathan Carmel pendant la Fashion Week parisienne pendant laquelle il présente sa marque Vautrait dans un showroom dans le Marais. Du haut de ses 23 ans, chaussé des cultes Tabi de Margiela, drapé dans un manteau oversize déstructuré, Yonathan ressemble à un étudiant en école d’art. Il nous serre la main timidement, parle tout doucement mais dès qu’il commence à parler de sa marque, s’anime. La mode le passionne. La couture dans ce qu’elle comporte de techniques et de précisions, de savoir-faire l’obsède (c’est lui qui emploie ce mot). Son label est à son image. Millimétré, ultra délicat, comme du sur-mesure, dessiné au pinceau. On a essayé de savoir un petit peu plus qui il était, de percer son mystère. Rencontre avec un jeune talent qui a tout d’un – très – grand.
Yonathan Carmel : Je ne savais pas du tout que je ferais de la mode un jour, j’adorais la photo. Je sortais dans la rue avec mon appareil et je partais faire des images. Quand je regarde des photos que j’ai pris il y a 10 ans, je me dis “tiens c’est marrant ça pourrait être un shooting de magazine” alors qu’à aucun moment sur l’instant je l’ai fait exprès. Je ne m’en rendais même pas compte.
C’était votre premier pas dans la mode sans le savoir ?
Yonathan Carmel : Dans la mode peut-être, mais dans l’art plus globalement assurément. C’est à ce moment-là je crois que je me suis rendu compte que je voulais évoluer dans le milieu artistique mais je ne savais pas tout à fait quelle était ma place. C’est vraiment quand j’étais à l’armée que j’ai eu ce déclic pour la mode.
Pouvez-nous raconter ce déclic et le décalage entre ce que vous viviez à l’armée et votre éveil artistique ?
Yonathan Carmel : Il y a 5 ans, j’étais dans l’armée en Israël (obligatoire pendant 2 ans et 8 mois NDLR) en tant que photographe. Ils m’ont envoyé prendre des photos sur une zone de guerre à Gaza et ça m’a littéralement traumatisé, j’ai vraiment détesté ça. J’étais profondément en désaccord avec la façon dont l’armée fonctionne. J’ai réussi à être transféré pour être graphiste au journal de l’armée… J’ai donc eu la chance d’apprendre à maîtriser les logiciels d’infographie et comme je passais beaucoup de temps derrière l’ordinateur, je me suis mis à passer du temps sur Pinterest. Là, j’ai découvert la mode. Je passais des heures à regarder des images. C’est sur l’ordinateur de l’armée que j’ai découvert ce qu’était la mode, je peux le dire !
Qu’est ce qui vous a le plus marqué pendant ces découvertes sur Pinterest ? Quels sont vos premiers émois mode ?
Yonathan Carmel : J’en ai tellement ! Je crois que tout m’a impressionné à ce moment-là, tout était nouveau pour moi. Je me rappelle de ce photographe, Nick Knight (photographe de mode anglais, NDLR) j’étais si perturbé par ses photos. Je n’avais jamais rien vu de tel. Je me disais “Waou, qu’est ce que c’est que ça? C’est fou!”. Une photo en particulier m’a particulièrement marqué. C’est une image réalisée avec Yohji Yamamoto et une fille qui fume une cigarette. Je me rappelle m’être dit “Je veux faire partie de ce monde.” J’ai ensuite commencé un cours de patronage “secret”. Comme je travaillais au journal de l’armée, j’avais le droit de rentrer chez moi le soir, alors j’allais au cours entre 5 et 7, même si c’était interdit. J’ai eu de la chance, mes parents m’ont toujours soutenu…
Susie Smoking, Susie Bick for Yohji Yamamoto, 1988
C’est après l’armée que votre approche de l’armée est passé de la théorie à la pratique ?
Yonathan Carmel : Oui exactement. À la suite de cours, j’ai commencé à travailler avec des modélistes qui m’ont appris de nouvelles techniques. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment appris la technique de la “déconstruction” du vêtement. J’ai réalisé que je pouvais faire n’importe quel dessin ou croquis mais que si je voulais faire un vêtement en 3D je devais maîtriser sa construction interne pour le réaliser. Je me suis rendu compte que la construction était en fait la partie la plus importante, c’est de là que vient la qualité du vêtement d’après moi. Je suis vraiment tombé amoureux du taloyring, c’est absolument incroyable. Je suis vraiment obsédé par l’idée de la construction du vêtement, le détail, l’extrême précision dont il faut faire preuve, les coutures faites à la main, les doublures, tous ces détails que beaucoup de gens ignorent.
Vous n’êtes donc pas devenu un créateur de mode, mais un architecte dans un sens ?
Yonathan Carmel : Littéralement, oui ! Je n’ai jamais envisagé mon métier comme étant quelque chose dans le design en tant que tel mais vraiment comme étant une personne qui “construit” quelque chose. Ce qui m’intéresse, c’est vraiment l’idée de la construction. Plus que tout.
Quels sont les créateurs qui influencent votre travail ? Où se trouvent vos inspirations ?
Yonathan Carmel : La créatrice chez qui j’ai fait mon stage quand j’ai habité à Londres pendant mes études a été ma première source d’inspiration. Elle s’appelle Roni Ilan, elle est isréalienne et sa mode est très minimale. Je suis très sensible aux marques minimalistes de manière générale, comme The Row mais aussi les marques américaines des années 90 comme Donna Karan, Calvin Klein. Je crois que mon univers se situe au carrefour de toutes ces influences là… J’aime les tons neutres, les univers faussement simples, le côté déconstruit et reconstruit avec une seule ligne.
©Roni Ilan
Pouvez-vous m’expliquer le nom de votre marque ?
Yonathan Carmel : Vautrait est le nom d’un de mes ancêtres. Une partie de ma famille est française de Tunisie et l’autre partie est autrichienne. En Israël, de nombreux français ont immigré et ont changé leur noms pour sonner plus hébraïque. Le plus triste dans l’histoire, c’est que je ne parle pas un mot de français !
Où se trouvent votre inspiration ?
Yonathan Carmel : Je ne saurais pas dire… Elle vient pendant que je suis en train de faire quelque chose… Généralement, je fais des choses avec mes mains, pas avec ma tête ! Je ne dessine pas mais je travaile avec de la matière. Je découpe des tissus vintage, et là je vais penser à quelque chose. Beaucoup de mes inspirations viennent de personnes dans la rue. Je prends énormément de photos de personnes dans la rue. C’est beaucoup plus intéressant pour moi d’être inspiré par des “vraies” personnes de la vraie vie que par des gens de la mode. C’est beaucoup plus authentique.
Quels sont vos endroits préférés lorsque vous venez à Paris ?
Yonathan Carmel : J’aime beaucoup le marché de Clignancourt, j’aime m’y balader et trouver des babioles, des objets. J’aime le Haut Marais et le 11e. J’aime beaucoup Pantin, c’est super calme. J’adore les petites maisons et il n’y aucun touriste, que des grand-mères et des chats !
Quelless sont les collections que vous avez apprécié pendant la semaine des défilés ?
Yonathan Carmel : J’ai adoré The Row, Givenchy, Bottega Venega et Saint Laurent !
© The Row